«Les familles râlent, mais elles ne portent pas plainte»
De plus en plus, les cas de négligence sont devenus fréquents dans les structures sanitaires. Et pourtant, chaque cas suscite l’indignation sur les réseaux sociaux. Mais selon Me Massokhna Kane, avocat, généralement, les familles dénoncent seulement sans saisir la Justice. Ce qui fait que les cas de négligence persistent toujours dans les structures sanitaires.
Sur les réseaux sociaux, le décès tragique de Abdallah Dramé, un jeune âgé d’une vingtaine d’années, a suscité une grande indignation qui est à son comble. Violemment percuté par un véhicule le 7 juin dernier, jour de la Tabaski, à Dakar, le jeune Abdallah grièvement blessé, clavicule brisée, cheville fracturée, hanche disloquée, est conduit d’urgence à l’Hôpital Principal de Dakar. Mais d’après sa famille, pendant quatre jours, le jeune s’est alité sans prise en charge, en raison de l’absence de médecins qui sont en congé pour la Tabaski. Et le personnel infirmier sur place était insensible à ses cris de souffrance. Le jeune a finalement succombé à ses blessures le samedi 14 juin dernier. Sa famille, très abasourdie, accuse l’établissement hospitalier de négligence médicale.
Ce cas du jeune Abdallah est parmi tant d’autres. En 2022, à l’Hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga, la dame Astou Sokhna est morte dans des conditions déplorables. Agée de 34 ans, mariée et enceinte de 9 mois, elle est admise pour accoucher. Etant dans une situation très critique, elle avait attendu pendant une vingtaine d’heures la césarienne qu’elle réclamait. Mais le personnel aurait refusé sa demande, arguant que l’opération n’était pas prévue et aurait menacé de la chasser si elle insistait. Et Astou Sokhna est finalement décédée ainsi que son bébé.
Ce drame avait suscité à l’époque une vague d’indignation sur les réseaux sociaux. Ces cas dramatiques mettent en exergue la négligence manifeste dans les structures sanitaires et la fébrilité des urgences hospitalières au Sénégal. Et généralement, ces cas sont étouffés sans aucune suite judiciaire.
«S’il n’y a pas de plainte à chaud, il est difficile de situer les responsabilités»
Concernant la judiciarisation des cas de négligence à l’hôpital, tous les jours, les populations se plaignent de cette situation. Mais quand l’affaire est portée en justice, il n’y a pas de suite pour la plupart des cas. Avocat et président de Sos consommateurs, Me Massokhna Kane estime qu’il y a beaucoup de familles qui, au début, menacent toujours de porter plainte, mais finalement, après le deuil, elles se disent toujours «c’est la volonté divine».
«Les familles râlent, mais elles ne portent pas plainte. Ou bien, quand on porte plainte, on ne suit pas sa plainte, on ne prend pas d’avocat pour que la procédure puisse aboutir. Ça fait qu’il y a beaucoup de cas de décès dus à des négligences dans les structures de santé, on les dénonce, mais il n’y a pas de suite judiciaire. Et c’est regrettable, parce que ces établissements doivent être assurés en responsabilité d’abord pour prendre en charge les cas de négligence, mais les gens ne portent pas plainte. Et parfois, le parquet s’autosaisit. Mais, c’est rare aussi que dans ces cas-là, le parquet s’autosaisisse», confie la robe noire.
Souvent, dans ces cas de négligence, situer les responsabilités à l’hôpital constitue un véritable problème. Mais, soutient Me Massokhna Kane, il ne faut pas attendre longtemps pour porter plainte. «Les gens prennent le temps de faire leur deuil, mais après ils passent à autre chose, ils ne portent pas plainte C’est rare que les gens portent plainte.
De la plupart de ces cas, c’est le procureur qui s’autosaisit. Mais, il faudrait qu’il soit au courant. Et ça, c’est la famille qui doit informer le procureur en déposant une plainte, par exemple. Et dans ce cas, il fera ce qu’il faut. Mais il faut que les Sénégalais aient une culture de se plaindre, de déposer plainte quand il y a des morts suspects ou des cas de négligence manifestes qui font que des personnes meurent dans les structures de santé. Et après, on met tout sur le dos du bon Dieu. Il faut que les sénégalais changent de culture sur ces points-là», a-t-il-laissé entendre.
SERIGNE SALIOU YADE